vendredi 16 mars 2012

UNE SIMPLE QUESTION DE TEMPS

La question du Temps a toujours été au cœur des préoccupations des hommes, et depuis toujours. Et il y a une bonne raison à ça. Au Temps ont toujours été associées les images, négatives, de vieillissement et de mort, auxquels aucun d’entre nous n’échappera. C’est cet enchaînement fatal qui a façonné l’image du Temps en celle d’un courant irréversible qui nous emporterait sans espoir de regagner la rive. Déjà, au 6ème siècle AJC, le philosophe grec, Héraclite, assurait qu’« il n’est pas possible de se baigner deux fois dans le même fleuve ». Or cette image de phénomène physique va trouver un renfort inattendu, 25 siècles plus tard, dans une théorie physique qui va lier le T emps à l’ espace en une quatrième dimension. Aboutissement d’une première théorie, la relativité du Temps.
Le point faible de cette théorie est qu’elle se contentait d’une définition sommaire du Temps, « la position de l’aiguille sur le cadran de la montre ». Ce qui nous parait un peu court et il faut aller y voir de plus près.


Le temps et les philosophes

A l’ époque d’ Homère la question du Temps était formulée d’une manière simple. Il y avait deux mondes. D’un coté le monde des mortels, celui du Temps, soumis au cycle d’un vieux dieu vert de gris, Chronos, dont la faux symbolisait l’ échéance fatale (comme l’aiguille de nos horloges). De l’autre un monde hors du Temps, celui des dieux immortels, non confrontés à la mort. Et de fait, hors cet avantage, on aurait eu du mal à distinguer les dieux des simples mortels, qu’ils aimaient du reste à fréquenter et jusque dans leurs lits.
Puis vint Héraclite d’Ephèse, le premier philosophe (6ème siècle AJC) à s’être interrogé sur le mécanisme du Temps. Toute chose, animée ou inanimée, lui paraissait soumise à la loi du changement perpétuel dont le feu était l’unité de compte,
« toutes les choses se troquent contre du feu, comme les marchandises s’échangent pour de l’or ou l’or pour des marchandises » (Héraclite d’Ephèse).

Et son moteur était le combat de forces opposées, « ce sont les contraires qui forment la trame et de leurs querelles sont issues les choses» (Héraclite d’Ephèse). Par le biais du feu chaque chose interférait avec une autre pour la modifier, laquelle à son tour..., et ainsi de suite, à l’infini.
Un siècle plus tard un philosophe peu connu, Matissos, sans doute inspiré des célèbres paradoxes de son concitoyen d’Elée, Zénon, produira un autre paradoxe, contredisant Héraclite et aboutissant à la négation même du Temps. Le voici :
« si une chose existe elle ne peut naître de rien, puisque rien ne peut engendrer quelque chose. Donc ce quelque chose n’a pu être engendré, il est donc éternel. S’il est éternel c’est qu’il n’a ni début ni fin. Il est donc aussi infini. Etant infini il ne peut être qu’Un car étant deux chacun serait la limite de l’autre. S’il est éternel, infini et Un il est immobile, puisque étant infini il n’a aucun lieu où aller.»
Ainsi pour Matessos tout serait éternel et immobile, de quoi l’on déduit que la perception du Temps serait pure illusion. Nous y reviendrons en inversant le syllogisme.
Mais ce n’était pas l’idée de Platon. Pour lui le Temps était une réalité créée, comme l’âme et avant même l’âme. De même pour Aristote, le premier à lier le Temps à l’espace et au mouvement qui était, pour lui, la mesure de l’âme. Ainsi, dans le sommeil, l’âme étant immobile le Temps disparaissait.

Kant lui aussi croyait que le Temps avait une nature propre et première, indépendante et cause des phénomènes qui trahissaient sa présence. « Le temps est la condition formelle à priori de tous les phénomènes en général » («Critique de la raison pure »). Il se révèle à l’homme sous forme d’intuition interne, à la différence de l’espace perçu par les sens.
Ce que contredisait, à peine, Hegel, « le temps est le pur soi extérieur, produit de l’intuition, non pas saisi par le soi» (« Phénoménologie de l’esprit »).
Point besoin d’allonger la liste des philosophes puisque nous devinons que derrière leur terminologie absconse se cache leur impuissance conceptuelle, du même ordre que la notre.

Le Temps et la science
Sommes-nous condamnés à nous contenter du ressenti, d’une impression ? Celle d’être emportés sur un tapis roulant (figure moderne du courant) et voir défiler, à droite et à gauche, choses et êtres avec lesquels nous entrons provisoirement en contact arrivés à leur hauteur. Le présent. Avant de les voir s’éloigner de nous, irrésistiblement et sans espoir de retour, emportés qu’ils sont eux aussi.
Impression d’autant plus forte que notre mémoire agit comme une vision d’êtres et d’objets s’estompant dans le lointain, Temps et espace confondus. C’est notre passé. Mais à la différence de tous les honnêtes tapis roulants, celui du Temps s’ avance dans un épais brouillard, le futur, au travers duquel nous ne pouvons que deviner des ombres aux contours imprécis, mais qui se dévoileront peu à peu, avant de disparaître, à leur tour, à l’horizon de notre mémoire. Ainsi, comme la plupart des philosophes, notre intuition du Temps nous donne à penser à une réalité physique, quoique insaisissable.

Au début du 20ème siècle physiciens et mathématiciens allaient prendre le relais et élever le Temps au rang de quatrième dimension, mais propre à chaque observateur (relativité restreinte d’Einstein). Voici la définition du Temps que donnait le grand Albert,
« On entend par le temps d’un évènement l’indication (position des aiguilles) de l’ horloge immédiatement voisine de l’évènement. A chaque évènement est ainsi associé une valeur du temps qui est, en principe, observable » (La relativité. Albert Einstein).

Poussant un cran plus loin, certains (en particulier Gödel, mathématicien et ami d’Einstein à Princeton) iront jusqu’à envisager la possibilité du voyage dans le Temps... ? Mais Einstein ne les suivait pas sur cette voie et la quatrième dimension n’était, à ses yeux, qu’une troisième bis, « l’espace temps ».

Dans « Impasse de la relativité » nous avions abordé la question du Temps par une approche négative, l’analyse critique des deux relativités, restreinte et générale. A l’aune du résultat nous pensons, maintenant, pouvoir aborder la question d’une façon moins rébarbative, en s’affranchissant des théories physiques. Faire place au bon sens, qui n’est pas le sens commun, mettre en évidence des concepts simples auxquels nombreux seront ceux qui adhèreront.

Une approche à contrario

Disons tout de suite  que l’intuition d’une réalité physique mais insaisissable du Temps est du même ordre de croyance que celle d’un Soleil effectuant le tour de la Terre, chaque jour. C’est pourtant ce que des hommes intelligents crurent durant des millénaires.
De même, poètes, « Oh temps suspend ton vol ! Et vous heures propices suspendez votre cours !», philosophes, savants et nous-mêmes, partageons la même illusion à propos du Temps. Et si nous n’avons pas encore fait notre révolution copernicienne c’est que nous avons un rapport trop direct avec lui, que le Temps est si profondément ancré en nous qu’il nous donne à penser que nous sommes son horloge biologique. Et de fait nous le sommes. Quand Einstein écrit, « on entend par le temps d’un évènement l’indication (position des aiguilles) de l’horloge immédiatement voisine de l’évènement », c’est un transfert vers un instrument de mesure non biologique, plus rationnel et incontestable. Mais contournant la question de fond, il va se révéler embarrassant pour la théorie.*
* voir « Impasse de la relativité ». Même édition 

Mais l’instrument a ses limites. Par exemple il ne peut expliquer la musique et doit se limiter à transformer la partition en son. Et, différemment de la musique qui s’interrompt quand l’instrument cesse de jouer, le Temps ne parait pas s’arrêter avec l’horloge. Et comme le poète nous cherchons, nous aussi et en vain, le moyen de le suspendre. Mais comment ?
Si nous ne savons toujours pas ce qu’est le Temps nous pouvons facilement démontrer ce qu’est son absence. Par exemple en assistant à une partie de tennis. Deux joueurs échangent des balles et un arbitre chronomètre le Temps écoulé entre chaque coup de raquette. Quatre secondes. Puis les joueurs se mettent à frapper la balle de plus en plus fort. Les échanges se font plus rapides. La durée de l’échange passe à trois puis deux secondes. De plus ils montent au filet. La distance qui les sépare diminue. Résultat : le Temps de l’échange tend vers zéro.

Quelles conditions doivent être remplies pour que le Temps de l’échange tombe à zéro ? Il y en a deux, et deux seulement :

- 1°que la vitesse de la balle devienne instantanée, 
- 2° que la distance devienne nulle (exemple de la balle prise en sandwich entre les deux raquettes.)

Nous savons que dans la nature aucune vitesse ne peut
dépasser celle de la lumière* (300 000 kms/seconde),
cette hypothèse est donc impossible. 
* puisque, suivant l’équation d’Einstein, la masse deviendrait infinie

Mais imaginons un instant que ce soit le cas, les deux coups de raquettes seraient simultanés. Soit la cause et l’effet confondus. Ainsi en postulant cette impossibilité nous obtenons une première information à propos du temps. Il est le « séparateur » de la cause et de l’effet, et c’est ce qui rend le monde compréhensible. Et à partir de ce simple constat on pouvait déduire depuis fort longtemps :

1° qu’il devait bien exister un « véhicule » transmettant la force de la cause à l’effet, comme la balle de tennis,*
2° que sa vitesse était forcément limitée, autrement on n’aurait pu distinguer la cause de l’effet, ce qui rendrait le monde incompréhensible,
3° ce qui, accessoirement, postulait l’existence d’une distance limite** en de ça de laquelle devait disparaître toute causalité, et donc le temps avec.

Ainsi nous venons d’introduire trois paramètres liés à la notion de Temps : la causalité, l’espace et le mouvement ce qui nous conduit à rendre hommage à Héraclite et Aristote, les premiers à en avoir eu l’idée. Reste Matessos. Revoyons le début de son syllogisme,
« si une chose existe elle ne peut naître de rien, puisque rien ne peut engendrer quelque chose. Donc ce quelque chose n’a pu être engendré, il est donc éternel... ». 
*appelé boson en physique
**probablement la longueur de Planck, 10 - 33 m. 

Si Matessos avait retenu la proposition d’Héraclite qui conduit à la notion de causalité il n’aurait pas écrit, « si une chose existe elle ne peut naître de rien,». Au contraire nous devons constater que toute chose naît d’une autre chose. C’est vrai en physique comme en biologie. 
Dès lors le syllogisme devient :
« si les choses existent c’est qu’elles sont nées d’autres choses. Donc ces choses ont été engendrées, elles sont donc temporelles, elles ont un début et une fin. Elles sont donc finies. Etant finies elles sont multiples, chacune fixant les limites des autres. Si elles sont temporelles, finies et multiples elles sont mobiles puisque étant finies elles ont tout lieu où se rendre. » 

Un simple renversement de la proposition majeure aurait ainsi conduit Matessos à poser les bases de la physique moderne, avec 25 siècles d’avance. Il lui manquait le concept d’Héraclite, « toutes les choses se troquent... », pour appréhender la causalité et donc le Temps qui en est la mesure.
Mais, me direz-vous, en quoi cet échange de balles nous concerne, nous qui sommes simples spectateurs ? Et en quoi notre Temps en est affecté ? Et vous auriez raison, pas plus du reste que le Temps des joueurs, eux-mêmes, n’est concerné. Ainsi nous devons tirer une nouvelle conclusion à propos du Temps, c’est sa multiplicité. Il existe un Temps propre à chaque causalité, déterminé par l’espace séparant chaque action de sa réaction ainsi que par la vitesse de propagation de la force causale (dans le cadre de la balle de tennis, 100 km/h).

Notre Temps propre

Mais en quoi ce concept d’espace et de vitesse peut-il nous concerner ? De la même manière que l’échange entre les deux joueurs. Non seulement chacune de nos cellules échange avec ses voisines, mais chaque molécule organique, chaque atome constituant notre organisme. Lequel forme un volume, donc un espace interne où se produisent ces échanges. Et chaque échange se fait à sa vitesse propre, soit celle d’un courant électrique, soit celle d’un échange chimique. Ainsi, en nous-même, se télescopent un nombre incalculable d’échanges qui forment autant de Temps. Mais la plupart de ces Temps passent inaperçus, seul le Temps cérébral est notre ressenti. De trois manières :

1° la remontée des perceptions (externes ou internes) qui se fait par le système nerveux à vitesse quasi instantanée, celle du courant électrique, et leur traitement. C’est le ressenti ou présent.
2° L’accumulation de ces informations (et émotions) dans le cortex cérébral et leur stockage. C’est le passé. 
3° Et c’est leur projection, hors tout ressenti, qui constitue le futur.

Ce n’est que à la phase n° 2 (2 à 3 mois de la vie) que va naître, non pas le Temps, mais sa conscience. Antérieurement le nouveau né ne connaît qu’un présent continu.
A l’autre bout d’une vie le Temps de l’individu va s’achever avec sa mort. Et la meilleure preuve du décès, dans la médecine moderne, est fournie par l’électro- encéphalogramme qui atteste, quand il est plat, que plus aucun courant électrique ne circule dans le cerveau. Preuve que tous les échanges cérébraux se sont arrêtés et donc le Temps avec eux. Ainsi les Anciens du temps d’Homère n’étaient pas loin de la vérité. Le Temps est bien l’affaire des mortels, encore vivants !
Mais, pour autant, tous les échanges à l’intérieur de ce corps devenu inerte sont-ils interrompus ? Non pas. Quelques cellules vont survivre, pas longtemps. Plus durables les molécules organiques qui, en se dissociant, vont libérer les atomes qui les constituent. Lesquels vont retourner à la nature et retrouver le Temps cosmique issu du Big Bang.

Ainsi, non seulement les Temps sont innombrables, mais ils s’emboîtent les uns dans les autres comme des poupées russes, jusqu’au dernier, le Temps fondamental naît il y a 15 milliards d’années, environ, avec le Big Bang. Le grand mystère reste sa causalité première avec laquelle, en raison de la vitesse d’expansion de l’Univers, il semble bien que nous ayons perdu tout contact.*
* Pour en savoir plus, lire « Impasse de la Relativité » (même édition) 

Ainsi nous comprenons que le Temps ne saurait être une composante fondamentale de l’ Univers, comme l’espace, le mouvement ou l’énergie. Il n’est qu’une résultante, le produit d’une division, celle de l’espace par le mouvement. L’espace qui sépare deux « objets » en interaction et la vitesse à laquelle la force d’interaction va se propager d’un « objet » à l’autre.
D’où l’on tire que le Temps ne peut être une dimension, même quatrième, mais la mesure d’une dimension, soit l’espace, soit le mouvement. Nous en avons la preuve quotidienne, si évidente qu’elle échappe à notre réflexion, chaque fois que nous regardons le cadran de notre montre. L’aiguille avance (mouvement) sur le cadran (espace). Et la position de l’une par rapport à l’autre nous donne le temps (comme la position du soleil dans le ciel (première montre à disposition de l’humanité) dans son mouvement apparent autour de la Terre).
Ayant déterminé le temps et mesurer l’espace il devint, ensuite, facile de calculer la vitesse du mouvement qui est un simple rapport des deux extrait de l’équation qui va suivre.


L’équation du Temps

Cette équation, d’une grande simplicité, est accessible à tous :

                              t = esp. (espace) / m (mouvement)

et elle permet de comprendre pourquoi la théorie de la relativité du temps est vraie et fausse à la fois. Au plan mathématique le temps relatif , t’, n’est obtenu qu’en faisant varier l’un ou l’autre (ou les deux à la fois) de ses composants, soit :
                             t’ = esp.’ / m’ t’ = esp.’ / m
                             t’=esp./ m’

Quelle forme prendrait l’équation si l’on donnait une valeur négative au temps, soit la possibilité du voyage dans le temps? Rien de plus simple au plan mathématique, il suffit d’inverser le signe de + à - :

                            - t’ = - sp’ / m’ - t’ = sp’ / - m’

On comprend qu’une valeur négative du temps nécessite d’ introduire une valeur négative de l’ espace ou du mouvement. Il faut donc imaginer ce que pourraient être un mouvement ou un espace négatif ? Nous n’en avons aucune idée et pour la bonne raison que chacun de ces concepts prend vie à partir de 0. A – 0, de même qu’à 0, il n’y ni espace ni mouvement. A partir de quoi on peut donc affirmer :
- qu’un voyage dans le temps n’a aucun sens, 
- que le temps ne saurait être une 4ème dimension (2ème raison), il n’est qu’un aller simple (à la différence des trois autres dimensions que l’on peut
parcourir dans les deux sens).

C’est donc la relativité de l’espace et du mouvement (sauf la constante c : vitesse de la lumière) qui crée l’illusion de la relativité du Temps, mais le Temps par lui-même, qui n’a pas d’existence propre, ne peut être relatif. Et pourtant les horloges atomiques semblent vouloir dire le contraire !

En effet, avec la mise au point des horloges atomiques, inconnues d’Einstein en 1905, on a relevé d’infimes écarts. Quand l’une était immobile  et  l'autre en mouvement elles n’étaient plus synchrones, de même quand on les positionnait à différentes altitudes. Ce constat venait à point pour confirmer la théorie :
« Si en deux points A et B de K, se trouvent deux horloges au repos et si l’on déplace l’horloge située en A à la vitesse v le long de la droite qui joint A à B, alors, lorsque cette horloge arrive en B, les deux horloges ne sont plus synchrones ; celle qui s’ est déplacée de A vers B retarde de 1/2t (v/V)2 sec. sur celle qui est en B depuis le début... »
(« Sur l’électrodynamique des corps en mouvement ». Albert Einstein 1905).

Mais la contradiction est levée si l’on veut bien prendre en compte que les horloges atomiques ne sont pas de si infaillibles instruments de mesure du Temps que l’on suppose. Elles sont soumises à une force qui n’est pas le Temps mais... la gravitation. A partir de quoi l’on est en mesure d’expliquer ce dernier phénomène qui, jusqu’à ce jour, échappe encore aux physiciens.
Mais ceci est un autre discours.*
*sur la gravitation voir « Impasse de la relativité ». Même édition 


Conclusion

Ici s’achève notre petit essai sur le Temps. J’espère qu’il a convaincu. Je constate avec soulagement qu’il n’a pas nécessité plus de quinze pages et aucune complexe équation mathématique. Simplement de l’observation, du bon sens et l’aide inestimable de tous ceux qui nous ont précédé sur ce chemin et qui doivent savoir, aujourd’hui, ce qu’est le monde des « Immortels ».
La partie qui se joue conserve assez de son mystère pour continuer de nous fasciner et nous inquiéter.

mercredi 7 mars 2012

UNE ÉLECTION DÉJÀ JOUÉE 2012



On pouvait, sans aucune nécessité de recourir à des sondages sur les intentions de vote et à partir de données bien réelles, être déjà en mesure de fournir la configuration (et donc le résultat chiffré) de la prochaine élection présidentielle de 2012. Il est, du reste, surprenant qu’aucun analyste politique ne se soit livré à ce genre d’exercice, préférant effectuer ses commentaires à partir d’intentions de vote fournies en abondance. A cette fin il suffisait d’analyser les deux derniers scrutins présidentiels, en particulier celui de 2007, et d’y intégrer une variable : le signe, plus ou moins, donné par le corps électoral au quinquennat qui s’achève ?

Trois paramètres bien réels

Les résultats de l’élection de 2007 sont à peine vieux de 5 ans et donc toujours d’actualité. Ce sera notre premier paramètre. Le second prend en compte l’homogénéité et l’inertie des comportements de groupes (c’est ce qui a permis la naissance de la sociologie). Malgré tout ces comportements finissent par évoluer avec le temps sous l’effet d’une variable à effet durable : le ressenti commun. Dans le cas qui nous occupe la perception, par le plus grand nombre, de l’évolution de leur situation sociale et économique au cours des cinq dernières années. Or il résulte des enquêtes effectuées que cette perception a une connotation fortement négative (la population française serait même la plus pessimiste de toutes celles étudiées).
Le dernier paramètre, résultant de ces mêmes enquêtes, est qu’aucun candidat, à commencer par l’actuel président, n’est perçu de l’immense majorité des électeurs (qu’ils soient de droite ou de gauche) comme capable d’inverser la tendance.



Ainsi, contrairement à une idée reçue, cette élection fut beaucoup plus serrée qu’on ne l’a dit. On remarquera que : 1° l’élection de N. Sarkozy a été acquise avec à peine la majorité des votants (50.83%). Comment faire table rase des votes nuls émis et dont on constate l’énorme progression (300%) entre les deux tours ?

2° l’écart qui sépare les deux finalistes n’est que de 2 192 698 voix. Qu’il suffisait que la moitié de ce chiffre (un peu plus de 1 million de voix) se déplace de l’un vers l’autre pour inverser le résultat. Soit à peine 3% des votants, à comparer aux 4.20% de votes nuls exprimés.
Quand à la progression de Nicolas Sarkozy entre les deux tours (+ 7 534 475 voix), on la doit : 1° au Front National : 3 800 000 – 1 000 000 (l’essentiel de l’accroissement des votes nuls) = 2 800 000 (73%)
2° à ce qui deviendra le Modem : 4 700 000 (70%), soit la différence.

Pourquoi cette situation n’a aucune chance de se reproduire ?

En raison de trois facteurs, indépendants des programmes affichés par les candidats, on l’a vu de peu d’effets sur les électeurs :
- - -
l’usure du pouvoir, l’image négative de Nicolas Sarkozy des opposants plus coriaces

L’usure du pouvoir

L’actuel président qui avait, précédemment, fait une habile campagne sur le thème de la rupture ne pourra plus renouveler cette thématique. En effet les réformes mises en avant n’ont eu que peu (ou pas du tout) d’impact sur la société française qui n’a ressenti de changement que dans le sens d’une dégradation par rapport à la situation antérieure. Dès lors ces cinq années de mandat se cumulent, dans l’esprit des électeurs, aux cinq précédentes où l’actuel président s’était déjà mis fortement en avant. Total : dix années qui constituent une limite de l’alternance pour des Etats démocratiques modernes.


L’image négative de Nicolas Sarkozy

De la soirée du Fouquet’s, où fut convié le « gratin » du monde des affaires, au yacht de Bolloré. De Carla Bruni à « l’héritier » Jean, en passant par la montre Rolex et l’avion sur mesure, Nicolas Sarkozy n’a cessé de renvoyer à l’opinion publique l’image caricaturale de l’appartenance à une classe privilégiée, ce qui heurte de plein fouet le rêve républicain de l’égalité pour tous. Ces grossières erreurs de comportement vont peser lourd dans la balance en 2012.

Des opposants plus coriaces en 2012

Lors de l’élection de 2007 Nicolas Sarkozy avait, contre lui, deux candidats qu’il faut bien qualifier de relativement « faciles ». Seul François Bayrou aurait pu constituer une menace s’il n’avait été éliminé dès le premier tour. 1° Jean Marie le Pen atteint par la limite d’âge et ayant fait la campagne de trop. 2° Ségolène Royal, première femme à concourir pour la présidence de la République, handicap non négligeable dans un pays aussi conservateur que la France. De plus n’ayant pas su (ou pu) s’imposer dans son propre parti. C’est pourquoi il faut souligner son score plus qu’honorable (16 790 000 voix), preuve que le candidat Sarkozy était considéré par les Français, non comme le meilleur des deux mais comme le moins hasardeux, ce qui relativise beaucoup un succès facilement acquis.
Aujourd’hui, il en va tout autrement. 1° Marine le Pen est jeune et elle a transformé le vieux discours frontiste en le « gauchisant » pour mieux mordre sur l’électorat populaire. Elle ne répètera pas le score de son père en 2007 (3 834 530 voix), mais plutôt celui de son père en 2002, au second tour (5 525 906 voix), soit près de 18%.

2° François Hollande a fait montre, au cours de sa campagne, de constance et d’une grande aptitude à réunir son camp. Il a, par ailleurs, su élever sa stature comme l’ont démontrés le meeting du Bourget et son débat télévisé avec un Alain Juppé poussé dans ses retranchements. Il est donc un adversaire autrement redoutable que ne le fut Ségolène Royal.
3° Concernant François Bayrou il fera moins bien qu’en 2007 (6 800 000 voix au premier tour) en raison de la concurrence au centre que constitue F. Hollande.
4° Il ressort des secondes et troisièmes paramètres que le candidat Sarkozy, non seulement ne pourra progresser par rapport à 2007, mais qu’il reculera. L’équation consiste donc à déterminer les limites de ce recul pour ne pas : 1° être éliminé au premier tour et, 2° l’emporter au second. C’est ce que nous allons examiner maintenant ?

La qualification pour le second tour

En 2002 le seuil à franchir était très faible, de l’ordre de 5 000 000 de voix. En 2007 il fut du double, de l’ordre de 10 000 000 de voix, grâce à une participation très élevée (plus de 80% des inscrits). La participation pour 2012, d’après toutes les enquêtes, sera supérieure à 2002 mais inférieure à 2007. La ligne médiane donnerait un seuil de 7 500 000 voix pour la qualification du second tour. Ce sera notre hypothèse de travail. Qui seront les candidats susceptibles de franchir ce seuil ?
1° François Bayrou, fortement concurrencé au centre par le candidat social- démocrate François Hollande, ne peut espérer améliorer son score de 2007, 6 820 119 de voix au premier tout, ne serait-ce que par l’effet mécanique de baisse de la participation. Il lui manquera 1 million de voix pour être qualifié.

Restent trois candidats : Nicolas Sarkozy, François Hollande et Marine le Pen.
2° La seule donnée réelle dont nous disposons sont les 5,5 millions de voix obtenues par son père au second tour de l’élection de 2002. La hausse de la participation, entre 2002 et 2012 (que nous estimons à 12%) devrait, par effet mécanique, la conduire à plus de 6 000 000 de voix. Au-delà nous ne sommes pas en mesure de quantifier. Elle reste donc le grand mystère de la prochaine élection (mais qui n’affectera pas le résultat final, on le verra).
3° Pour François Hollande les données réelles sont les 9 500 000 de voix obtenues par Ségolène Royal au 1er tour de 2007, chiffre qu’il devrait maintenir (et améliorer) malgré la chute globale de la participation (ce qui mettra en évidence, à nouveau, la performance de Ségolène Royal en 2007). Ainsi sa qualification pour le second tour est d’ores et déjà acquise.
4° Nicolas Sarkozy avait établi un chiffre record de 11 400 000 voix, au 1er tour de 2007, qu’il ne pourra renouveler en raison de sa fragilisation. La baisse de la participation (12% sur 2007) l’affectera beaucoup plus que son principal rival. Soit une première réduction « mécanique » de 1 500 000 de voix. Plus une seconde de même amplitude, 1 500 000 de voix, celles des électeurs frontistes qui s’étaient portés sur lui directement au premier tour de 2007. Soit 8 400 000 voix (proche des 25% dont le créditent les sondages actuels ce qui, sur notre estimation de participation, 32 000 000 de votants, donne 8 000 000 de voix).
Il serait donc, en principe, qualifié pour le second tour. Mais rappelons ses trois handicaps et le fait qu’il suffit qu’un million d’électeurs sur sa droite se déportent sur Marine le Pen pour le disqualifier pour le second tour.

L’élection du deuxième tour.

Trois candidats restent donc en lice pour le deuxième tour : François Hollande que nul, à gauche comme au centre, ne concurrence sérieusement. Nicolas Sarkozy et Marine le Pen, au contraire, sont concurrents sur un même « marché » d’électeurs. L’un devra donc éliminer l’autre. Mais ce duel à mort, nous n’en connaîtrons le résultat qu’au soir du 1er tour sauf si, faute de parrainages, Marine le Pen ne pouvait concourir. Mais si tel était le calcul de Nicolas Sarkozy il s’agirait d’un mauvais calcul comme on va le voir.
Dans le cas d’un second tour Marine le Pen – François Hollande on aura une participation inférieure à 30 000 000 de votants, soit un minimum de 15 000 000 de voix au vainqueur, progression aisée pour François Hollande aussi bien sur sa gauche qu’au centre (scénario inversé de ce qui fut en 2002).
Dans le cas d’un second tour Nicolas Sarkozy – François Hollande on aura une participation supérieure à 35 000 000 de votants, avec un niveau de qualification à au moins 17 500 000 de voix (comparable à 2007). Voyons comment chacun des candidats pourra combler son déficit du 1er tour ?
Pour Nicolas Sarkozy partant d’une base comprise entre 8 et 8,5 millions de voix, il faudra en récolter davantage... qu’au premier tour. Tâche insurmontable et dont le seul cas connu est celui de Jacques Chirac en 2002 (20 millions de voix récupérées entre les deux tours) pour les raisons que l’on sait.
Il peut espérer, au mieux, les deux tiers des voix frontistes, soit 4 millions de voix. D’évidence beaucoup moins si Marine le Pen ne pouvait se présenter (cas de JM le Pen en 1981 qui, interdit d’élection, favorisa l’élection de François Mitterrand contre Valery Giscard d’Estaing). Sarkozy a donc tout intérêt à
faciliter les parrainages de Marine le Pen. Mais il lui manque encore 5 000 000 de voix, qu’il devra chercher au centre. Même en admettant que François Bayrou réalise un score de 7 000 000 de voix (ce qui est peu vraisemblable) et qu’il appelle à voter pour Nicolas Sarkozy (ce qui serait contradictoire avec ses prises de position répétées depuis 5 ans) cinq millions de voix représenteraient plus de 70% des voix centristes à récupérer. Est-ce possible ? Ce fut pourtant le cas en 2007. Pourrait-t-il renouveler cette performance en 2012 ? La réponse est non !
Non seulement en raison des trois handicaps, devenus insurmontables, que nous avons évoqué, mais parce qu’il aura contre lui un candidat beaucoup plus marqué au centre que ne le fut Ségolène Royal et qui captera au moins 50% des voix centristes (c’est aussi la raison du recul de F Bayrou)
Ainsi Nicolas Sarkozy se trouve confronté à une configuration qui lui est hostile tant sur sa droite (Marine le Pen) que sur sa gauche (les deux François). Il va donc se trouver dans l’impossibilité d’atteindre les 17 à 18 millions de voix indispensables à sa réélection. Et son score restera plafonné autour de 14 à 15 millions de voix.

Conclusion

Nous n’avons pas évoqué les autres candidats qui peuvent influer sur le résultat (exemple : le Pen en 1981, Chevènement en 2002) mais aujourd’hui ils sont marginalisés par les grands courants qui se sont établis depuis cinq ans. De même les configurations et alliances entre candidats ou les initiatives du candidat président lors de la campagne, resteront toutes aussi vaines par manque « d’inertie ». On peut donc soutenir, sans besoin de connaître les intentions de vote par sondages, que l’élection de 2012 est déjà jouée. François Hollande sera élu Président de la République et Nicolas Sarkozy battu, peut être même dès le premier tour. !
Pour aboutir à ces conclusions nul besoin de sonder les intentions de vote. Cependant on ne manquera pas de relever la concordance entre les sondages actuels et cette approche prospective, beaucoup moins aléatoire.